Interview Marion Montaigne

photo auteurBonjour Marion, peux-tu te présenter ?

Je m’appelle Marion Montaigne, j’ai 39 ans et je suis autrice de bande dessinée avec un très fort penchant  pour la vulgarisation scientifique.

Quel est ton parcours ? 

Après un bac général en économie, que j’ai détesté, je suis allée faire une prépa en art, puis je suis allée à l’école publique d’arts graphique Estienne pour une année de mise à niveau avec une spécialisation en illustration. Finalement plutôt que de poursuivre à Estienne pour obtenir un Diplôme des métiers d’art, je suis allée à l’école des Gobelins dont j’ai réussi le concours au bout de la deuxième fois. J’ai donc une formation en dessinatrice d’animation. J’y ai appris à animer à la main, comme chez Disney.

Je me suis rendue compte que ce que je préférais, c’était l’étape de recherches d’idées et de storyboard plutôt que celle consacrée à la fabrication du dessin animé en lui-même. Je ne me voyais pas être animatrice finalement. J’étais plus attirée par le livre, et la bande dessinée.

Alors après avoir un peu travaillé dans l’animation, je me suis mise à mi-temps libraire BD à Gibert jeune (rayon BD) pour préparer un book et démarcher les éditeurs jusqu’à ce que j’arrive à avoir quelques commandes en illustration, en free-lance. J’ai ensuite proposé des BD. Parfois je revenais à l’animation en tant que scénariste. Bref, petit à petit, j’ai pu faire des albums comme La vie des très bête (Bayard), Panique organique (Sarbacane) enfin j’ai crée la mienne sur le blog Tu mourras moins bête en 2008 qui parle de science. En 10 ans d’existence, le blog a été décliné en 5 tomes chez Ankama puis Delcourt et en 2 saisons d’animation sur ARTE (bientôt 3). Il m’a aussi permis de rencontrer pas mal de gens dont Thomas Pesquet qui connaissait mon travail. C’est comme ça que je l’ai “suivi” pendant 2 ans et réaliser l’album Dans la combi de Thomas Pesquet.

Depuis combien de temps fais-tu ce métier ?

Les débuts ont été hésitants comme dit plus haut. Je fais à temps plein de la BD depuis peu, je dirais 2010-2011. Avant, je faisais des commandes en complément de la BD- comme de l’illustration ou des scénario- pour payer le loyer. En gros, je gagne ma vie artistique depuis 14-15 ans mais vis exclusivement de la BD, depuis 8 ou 9 ans, je dirais.

Quel matériel utilises-tu pour dessiner ?

Je suis très attachée à la plume et à l’encre. Je pourrais passer au numérique, désormais les outils sont assez bons pour qu’on ne voit même plus la différence. Mais ils ne sont pas encore, à mon goût, assez poussés pour garder un trait nerveux de la plume (quoique…). Je crois que je me donne des excuses parce que j’essaie surtout de garder le papier pour ne pas passer ma vie devant des écrans.
Je me dis également que même si le numérique est extrêmement pratique, il nous pousse machinalement à perfectionner à l’infini, au pixel près nos dessins et ce, au risque de rendre le trait un peu moins accidenté. Donc je persiste dans mes ratés, des taches d’encre, mon tipex, mes traits qui dépassent, les trucs de traviole, que je scanne ensuite. Par contre je colorise à l’ordinateur parce que c’est vachement plus pratique.

Comment t’es venue l’idée du personnage du professeur Moustache et de la série « Tu mourras moins bête » ? 

On va pas se mentir, la prof c’est une sorte d’alter ego caché derrière une moustache. Ça me permet d’être et ne pas être ce personnage. c’est un peu moi mais version un peu barré, qui aurait fait de la biologie, bien plus franc du collier avec beaucoup de mauvaise foi. Psychanalytiquement, c’est probablement un gouffre d’ego et de refoulé.

Marion Montaigne

Au début, la prof, parce que c’est une femme, n’avait pas de nom, puis dans les commentaires, les gens ont commencé à l’appeler “prof moustache”, alors…
Pour ce qui est du fond, j’avais envie de parler de sujets scientifiques qui me fascinaient mais ils étaient si nombreux que je ne parvenais pas à en développer une fiction. Puis ça aurait peut-être été une mauvaise idée, parce que ça aurait donné une histoire fourre-tout. Le blog a cet avantage d’être comme des pages de journal. Il suffisait de créer des articles dessinés de chaque thème que je voulais aborder. On passe d’un sujet à l’autre, sans transition et sans noyer le tout dans une fiction molle pour se justifier. On ne tourne pas autour du pot, chaque épisode dit : ”tiens ben j’ai envie de parler de ça”.

Donc voilà, si j’ai envie de savoir si un fait scientifique de film est vrai, je vais dans un labo, ou dans une bibliothèque et je potasse tout ce qui pourrait m’aider à répondre à la question.

Tu as réalisé une bande dessinée sur la mission de Thomas Pesquet dans l’espace, peux-tu nous expliquer comment tu as collaboré avec lui ? 

Eh bien il est un peu venu me chercher mais discrètement, via un commentaire sur mon blog que j’avais totalement loupé. Je peux vous dire que je regrette amèrement d’avoir perdu 9 précieux mois avant de voir le message et de le contacter à mon tour. D’autant plus que pendant ces neuf mois, je fomentais justement l’envie de faire une BD sur le Spatial et que je me documentais sur le sujet.

Thomas est de la même génération que moi, il a les mêmes références, et cerise sur le gâteau, il a de l’humour, ajoutez à ça son envie de vulgariser son boulot sans non plus en faire un truc pompeux,  parler avec lui a été vraiment facile.

Il était d’accord pour que je raconte son parcours mais sans en faire une hagiographie, c‘est à dire son éloge totale. L’idée était de montrer les facettes du métier qu’on montre peu, parce que soit inaccessibles aux caméras, soit parce que c’était à une époque où il n’était pas médiatisé, comme les épreuves de sélection, soit les aspects les moins glorieux, qui sortent du profil épique, soit parce qu’on n’en parle jamais.

Je pense que Thomas voulait aussi qu’on voit à quel point il s’agit d’un métier qui demande de gros sacrifices, énormément de patience, des années de travail. on sait peu aussi que les astronautes sont aussi des cobayes pour la science et qu’ils font beaucoup d’expérimentations dans la station spatiale. C’est ce qui m’a le plus frappé en allant sur les lieux d’entraînement. Je pense également que c’est flatteur pour un astronaute d’être présenté comme un surhomme, mais que par moment ça doit être aussi frustrant qu’on ne voit pas la masse de boulot qu’il y a derrière ni les aspects vraiment ingrats du métier.

Lors de l’écriture, j’ai beaucoup stressé parce que je voulais qu’elle soit à la hauteur du personnage et de la confiance qu’il mettait en moi, je ne voulais décevoir personne. D’un autre côté, c’était très détendu avec Pesquet, je me suis souvent beaucoup marrée en discutant avec lui. J’ai beaucoup appris aussi, sur son métier mais aussi le mien.

Le fil rouge de tes bandes dessinée est la vulgarisation scientifique, comment choisies-tu tes sujets ? Est-ce que tu fais beaucoup de recherches scientifiques avant de te lancer dans l’explication d’un sujet ?

Il faut déjà que ça parte d’une curiosité personnelle, ensuite je me documente beaucoup. Je fais ma petite enquête, je recherche des infos, je cherche les bibliographies dans les sources à la fin des études scientifiques, je traque les noms cités, les articles, je recoupe avec d’autres infos. Parfois la documentation sur un sujet, télescope d’autres problématiques, et là c’est passionnant, parce qu’alors mes recherches se transforment en petite enquête. C’est un travail de souris de bibliothèque. Je prends des dizaines de pages de notes. Ensuite je laisse décanter.
Ensuite je vois ce qu’il en reste alors je parle toute seule, chez moi, dans la rue, sous la douche, la nuit et je fais comme si je devais raconter ce que j’ai lu à un.e ami.e, ce qui permet d’aller à l’essentiel. Au bout d’un moment, je n’en peux plus de retourner le truc dans tous les sens, une fois que je maîtrise le truc, je dessine ce que j’ai en gros, retenu. Donc c’est plus un boulot de lecture, de digestion et d’élagage que de dessin. Je dirai en temps: 90% le fond 10% le dessin.

Il m’arrive d’aller rendre visite à des chercheurs. on passe en général une journée ensemble ou une grosse après-midi et j’explique ce qu’ils font. Il y a ensuite un aller et retour de dessin pour valider les planches. Ça crée des amitiés qui joignent l’utile à l’agréable. Il m’arrive de rappeler certains chercheurs pour leur demander de l’aide plus tard, sur d’autres sujet. Par exemple, je garde bon contact avec un certain Baptiste, biomécanicien de son état, qui m’a récemment aidé pour bien décrire un phénomène physique. Un autre chercheur est toujours partant pour m’expliquer des thèmes en rapport avec la génétique. J’ai fait 3 sujets grâce à lui.

« Tu mourras moins bête » a été adapté en série animée pour Arte, comment travailles-tu sur les épisodes ? 

J’écris les scénarios. le défi c’est de tout faire tenir dans un timing de 3 minutes pile poil tout en restant drôle et rythmé. Ce n’est pas évident car retirer un mot a -surtout en science- des conséquences sur le sens. Donc avec les réalisateurs (pour la saison 3, ils sont deux co-réalisateurs, Helene Friren et Pierre Volto) on retravaille le script pour que, quand on le lit à voix haute en imaginant l’action, on tienne dans 3 minutes. si ce n’est pas le cas, faut tailler dans les dialogues, ou retravailler les scènes. Ensuite, les storyboardeurs/euses, les layout men/womens, animateur/trices, prennent le relais. Je peux donner mon avis sur diverses étapes. Mais l’avantage, enfin je pense, c’est que j’ai une formation en animation, donc je sais à quelle étape je peux réclamer quoi et quand est-ce qu’on ne peut plus revenir en arrière. J’assiste aussi aux enregistrements avec les comédiens, au cas où il faille changer une phrase et parce que c’est trop drôle de voir François Morel, Jérôme Pauwels ou Nathalie Homs jouer.

Peux-tu nous dire sur quoi tu travailles en ce moment et quels sont tes projets futurs ?

Je suis en train de finir le tome 05 de Tu mourras moins bête tout en réfléchissant à ce que je vais faire après… Le grand mystère.

Quelles sont tes sources d’inspiration ? Les grands auteurs qui ont compté pour toi, tes modèles ? 

Je crois que j’ai été marquée par des illustrations avant de l’être par les BD. Je pense à Quentin Blake, Tomi Ungerer, de Zdenek Burian ou de Peter Spier. Après pour la BD en tant qu’art séquentiel, je pense que je me suis prise une bonne baffe avec Akira adolescence, ce qui m’a donné un coup de fouet au niveau du dessin. en parallèle j’ai été un peu scotchée parce que ce n’était pas de mon âge par Gotlib, Bretecher et même Lauzier.

J’ai aussi sûrement été, pour ce qui est de l’humour, influencée, par Akira Toriyama avec Dr Slump.

Lors du dernier festival Quai des Bulles, tu as reçu le prix de l’affiche, qu’est-ce que cela représente pour toi ? 

J’ai été très surprise car je ne l’ai pas du tout vu venir. J’avais eu une année folle avec Dans la combi de Thomas Pesquet, j’avais déjà eu beaucoup de chance autour de ce projet dont un prix à Angoulême. Je pensais que la page serait fermée.

Après comme  je dessine très petit j’avoue, j’avais un peu peur de faire l’affiche. Mais en soit, j’ai toujours un peu de mal à réaliser que j’ai eu ce prix, parce que pour moi ce sont les auteurs qui ont de la bouteille, une longue carrière derrière eux et  que j’admirais, qui recevaient ce prix honorifique, mais je doit admettre que je commence à en avoir moi aussi, de la bouteille. ça y est, je suis vieille.

Pendant trois ans tu as animé la cérémonie de remise des prix, tu connais bien Quai des Bulles, quel est ton rapport au festival ? 

J’aime beaucoup Quai des bulles parce que c’est un festival à échelle familiale. Aussi bien pour les auteurs que pour les visiteurs. On s’est bien marrés avec Olivier à faire ces cérémonies. L’idée est de ne pas faire quelque chose de guindé, ni pompeux, c’est à la fois solennel parce que pour les auteurs, recevoir un prix, c’est un moment important où leur travail est reconnu mais aussi l’occasion de se moquer de la profession.

Avec Olivier, au risque de passer pour des rustres, on avait décidé de ne pas laisser les lauréats parler hormis un petit merci. En fait, on savait que certains auteurs, terriblement timides, n’étaient pas forcément à l’aise pour parler en public. On savait que certains avaient été soulagés de ne pas avoir à parler. Puis comme ça, on les taquinait. Les éditeurs aussi y passaient.

A la fin du festival, je regarde toujours la mer une dernière fois avec un pincement au cœur et je me dis “c’est parti pour 6 mois d’hiver”.

L’auteur récompensé par le prix de l’affiche doit créer celle du prochain festival. Quelles ont été tes différentes étapes de travail pour la création de l’affiche de la 39ème édition ? Comment as-tu procédé ?

Moi quand je pense “affiche Quai des bulles”, je pense direct à la mouette de Bouzard. Simplicité-efficacité-Perfection-grosse pression. C’est tellement dur de représenter la mer, ou même Saint-Malo, les toits, les briques, les galettes… alors qu’une mouette symbolise le festival à elle toute seule. Donc je l’ai gardée. enfin j’ai plutôt fait des goélands, les experts le verront, c’est plus hargneux, un goéland. Sauf que j’avais un peu envie de vengeance parce que ces bestioles ont dû voler l’équivalent d’une cantine d’école à des milliers de gens, sous forme de croissants, sandwichs, glaces…bref.

Techniquement, j’ai procédé comme il se doit, par pleins de brouillons. j’avais envie d’un truc assez dynamique et qui change du bleu de la mer, du jaune du sable. Alors là, on est plutôt dans du pop…

Pour le dessin, eh bien, je me débrouille avec mes micro dessins, qui passent au scanner à de très hautes définitions pour être agrandis au max et redessinés.

Pour le fond je pense qu’on peut y voir soit une science fiction improbable, soit une métaphore du métier d’auteur en pleine difficultés face à des conditions de travail de plus en plus  difficiles, une lutte, le livre en guerre contre le numérique, le métier du livre au bord de la crise de nerf qui a besoin de se défouler ou juste une tendance sado-ornithophobe.

Merci Marion ! 

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