Interview Aniss El Hamouri

Bonjour Aniss !
Bonjour

Peux-tu te présenter ?

Eh ! Bien je m’appelle Aniss El Hamouri  et je suis auteur de bande dessinée.
Je suis né à Temara, au Maroc, d’un père Marocain et d’une mère Belge , un binational comme on dit dans le milieu.
Voilà… Sinon j’aime bien écouter la radio

Quel est ton parcours ? 

Après mes études secondaires au Maroc, j’ai commencé des études à Bruxelles que j’ai lamentablement échoué. J’ai voulu faire de la bd. Je suis rentré à Saint-Luc, à Liège en section bande dessinée l’année suivante.

J’y ai obtenu une licence, puis j’ai continué sur ma lancée avec un master en illustration à l’Académie des beaux-arts de Liège. J’y ai fait quasi exclusivement de la bd hahaha.
Pendant tout ce temps j’ai fait plein de fanzines avec des amis. C’était si bien.

Après ça que dire, je suis sorti et c’était un peu le choc, comme se jeter dans de l’eau glacée. On réalise que parfois créer seul dans son coin, avec pas beaucoup de sous c’est dur.
J’ai soumis un projet du livre qui deviendrait Comme un Frisson à la bourse de la fédération Wallonie Bruxelles vers la fin de cette année-là. J’ai attendu un bout de temps avant la réponse haha.

Lors du dernier festival Quai des Bulles, tu as reçu le prix Révélation ADAGP / Quai des Bulles pour ta bande dessinée Comme un frisson, qu’est-ce que cela représente pour toi ?

Ben, je me rappelle quand Fabien (mon éditeur) me l’a annoncé au téléphone. Je n’en croyais pas un mot. J’étais au milieu d’un workshop dans la cambrousse et je me suis levé, j’ai sauté partout en gueulant. Hahaha. Honnêtement je ne pensais pas l’avoir. Je l’espérais bien sûr, mais je ne m’imaginais pas lauréat.
A l’annonce de la sélection, j’étais déjà super heureux et j’avais commencé à lire les autres livres que je ne connaissais pas encore… A chaque fois que j’en fermais un j’étais un peu plus stressé. Hahahah.

C’était vraiment un gros truc, ce prix, pour moi. Comment dire… Déjà le bouquin a eu un succès auquel je ne m’attendais pas. Je ne pensais pas qu’autant de gens le liraient et qu’autant de gens qui ne me connaissaient pas m’écriraient pour me dire qu’ils avaient aimé. Ça m’a beaucoup ému. Je suis fier de ce livre, alors j’ai été vraiment heureux de voir que d’autres gens se retrouvaient dedans.
Le prix ça a renforcé ça encore plus. Le jury était impressionnant et c’était comme si on me disait que je n’étais pas fou d’y croire et de donner de l’importance à mes bandes dessinées pendant tout ce temps. Je me suis dit : « ok ! Donc en fait je sais quand même un peu en faire de la BD alors ! »

Comme un frisson est ta première BD mais tu as travaillé pour des fanzines notamment, quels sont les autres projets qui ont vu le jour ?

 J’ai participé à beaucoup de fanzines et de microédition depuis le début de mes études. Plusieurs d’entre elles sont pour le moins cryptiques. En général, ça ne se trouvait que dans des festivals d’initiés en somme.  On a fait beaucoup de projets collectifs, notamment avec mes premiers compagnons dans le fanzine à Liège, Salade de Frites, et de manière générale, j’ai contribué avec des histoires courtes à beaucoup de revues par ci par là, en rencontrant des gens en festival etc. C’est un peu dur à recenser ici.

Sinon, dans une structure que je co-gérais, Phobia Presse, j’ai fait sortir quelques livres tout seul.

Notamment Du Sel Sur Mes Plaies, un recueil de 5 histoires courtes et cruelles, et Elle… une histoire en 10 pages sur le deuil. J’ai encore des stocks chez moi.

J’ai eu une expérience incroyable d’édition avec les micro éditeurs bolognais Delebile. Je faisais un projet sur internet d’histoires très courtes (et cruelles encore, hahah) intitulé Lâchez les chiens qu’ils ont édité en un volume dense, mais léger. Ils ont fait un travail de fou. On l’a réédité en français avec la même maquette avec Brumeville, ma nouvelle structure de micro-édition.

Comment est venue l’idée l’album Comme un frisson ?

Fiou… Dur à dire. Je n’ai pas été frappé par la foudre et d’un seul coup c’était là. En règle générale, les « idées de scénario » restent longtemps dans ma tête. C’était le cas de Comme un frisson (qui s’est très longtemps appelé Tingling). J’ai eu une idée de départ il y a très longtemps d’une personne qui aurait le pouvoir de spider-man de détecter le danger, mais face à l’abstraction de la notion de danger, ne saurait rien en faire de vraiment valable. Puis des choses s’y sont progressivement ajoutée.

J’ai été fort influencé par Crash de Cronenberg pour le personnage de Guru un peu manipulateur.

Et puis je ne sais pas, le projet s’est nourri avec des idées qui s’amalgamaient silencieusement dans ma tête pendant pas mal de temps. quand j’avais fini les études, je me disais qu’il me fallait un projet one shot pour tenter quelque chose. Cette idée dans ma tête pouvait s y caler pas mal alors j’ai tenté le coup en faisant un dossier.

Et non seulement, faire ce dossier m’a obligé à clarifier des choses, mais j’étais clairement pas sûr de savoir comment coucher tout ca en bd sur le papier. Je n’avais pas encore de plan très clair. Juste des lignes de direction.
Faut laisser du plaisir d’écriture.

Combien de temps t’a pris la réalisation de cette bande dessinée ?

Entre le moment où j’ai fait le dossier pour la bourse et la sortie du livre il y a eu 3 ans.

Il y a eu beaucoup de temps où je n’y travaillais pas par contre. Il y a eu beaucoup de temps d’attente, de temps passé à d’autres projets, à des travails pour remplir mon estomac etc…
Je pense que le travail effectif ça devait être quelque chose comme 1 an, 1 an et demi.

Avec quel matériel dessines-tu ? 

Le story board c’est du crayon sur du papier pourri. Tout est sale, mais tout est déjà en place.

Pour ce qui est du dessin, je bosse en manuel. Je travaille sur du papier épais (200g), je crayonne avec, en général, un portemine à mine bleue. Ensuite j’encre avec un stylo rotring rapidograph avec une pointe de 0,25 mm. C’est ces fameux stylos d’architecte qui fonctionnent à l’encre de chine. Ca coute très cher, c’est très fragile, je m’en occupe plutôt mal, j’en casse/bouche beaucoup. Mais c’est tellement bon de dessiner avec ça…

Je scanne le dessin après ça, j’enlève le bleu avec des bidouillages d’ordinateur et je rajoute des couleurs digitalement.

Bon ça c’est la technique que j’ai utilisée pour Comme un frisson. Parfois, j’utilise du pinceau ou de la plume pour l’encrage, mais je reste toujours assez… classique je dirais.

As-tu noté un regard différent du public, de la critique ou d’autres maisons d’édition depuis l’obtention du prix Révélation en octobre dernier ? 

Pour les critiques, il y avait déjà eu plusieurs bonnes critiques avant que le livre ait eu le prix. D’autres n’ont pas spécialement fleuri alentours. En ce qui concerne les maisons d’édition, je ne pense pas, mais je peux me tromper.
Par contre, j’ai senti le changement par rapport aux gens autour de moi. Mes proches bien sûr, mais aussi chez des gens plus éloignés de moi qui n’avaient pas l’habitude de réagir à mon travail.

Le reportage sur Arte Creative a vraiment eu un retentissement impressionnant. Un ami m’a dit que c’était la première fois qu’il m’entendait parler réellement de mon travail et qu’il avait trouvé ça beau. Ca m’a beaucoup touché.
J’ai été surpris, des personnes perdues de vue me félicitaient pour le prix. Un type m’a reconnu dans le tram une fois hahaha c’était dingue (j’étais en train de lire naruto).
Mon père était fier aussi. Comme quoi tout arrive.

Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Impossible d’être exhaustif sur les choses qui m’ont marqué en bande dessinée je pourrais citer Dash Shaw, Daniel Clowes, David Mazzucchelli, Benjamin Adam…
Mais aussi plein d’autres livres et/ou auteurs.

Pour ce qui est de l’inspiration, je suis majoritairement influencé, en tout cas consciemment, par d’autres médias que la bande dessinée.  Les films d’horreur sont une grande inspiration pour moi. Je ne vais peut-être pas me lancer dans une liste mais Carpenter et Cronenberg tiennent une place très importante dans mon panthéon et ça m’est souvent arrivé de vouloir rendre un univers similaire en bande dessinée.

Sinon je suis aussi fort influencé par des jeux vidéo, de la musique, de la littérature… Bref… plein de choses
Un jour on m’a donné le conseil de voir ailleurs que dans la bd pour en faire et ce conseil a été vraiment précieux. Comment dire… j’ai comme essayé, depuis, de trouver de la poésie dans tout un tas de choses et ça j’aime bien.

Peux-tu nous dire sur quoi tu travailles en ce moment et/ou quels sont tes projets futurs ?

Alors j’ai des projets, oui.

Un livre en sérigraphie un peu spécial. Un texte d’autofiction sur mon rapport à ma binationalité croisé avec des dessins directement reproduits du film The Thing de Carpenter.

C’est L’appât (atelier de sérigraphie à Bruxelles) qui m’a invité à faire un projet avec eux. J’arrive bientôt au bout et on l’imprime en mi-mai. Ca sera super, j’ai hâte

Et sinon je suis sur un projet très ambitieux : une série en BD dans un univers médiéval fantastique sur des adolescents sorciers. J’y travaille depuis quelques temps déjà. Je suis très content de ce à quoi ça ressemble jusqu’ici. Ca promet d’être un récit impitoyable haha…

J’ai sorti le premier épisode en auto-édition avec ma structure Brumeville.

Et justement, je continue à faire du fanzinat avec mes deux compères, Thomas Vermeire et Docteur Lunet à travers cette structure, Brumeville, fondée en 2017, où on publie humblement des livres et avec laquelle on se rend en festival.

Tu as produit la carte de vœux 2019 de Quai des Bulles, peux-tu nous la présenter ?

La carte de vœux que j’ai fait pour Quai des Bulles s’appelle Water Hug. L’idée c’était d’évoquer la ville de Saint Malo. Je n’ai jamais été très fort à représenter des villes ou des lieux qui existent. Alors j’ai préféré travailler sur une image plus onirique basée sur mes impressions subjectives de la ville.
Je me suis retrouvé plusieurs fois, la nuit, après une fête en bonne et due forme, sur les remparts avec un vent pas possible. C’est super beau je trouve. Ca a un côté paisible mais apocalyptique aussi. On dirait presque que ce n’est pas possible.
Donc j’ai essayé de rendre ce contraste avec ce couple qui s’enlasse et qui crée de la tendresse au milieu d’un paysage de fin du monde un peu.
Après si j’ai réussi … mystère. hahahha
J’espère que ça vous a plu.

Merci ! 
De rien !

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